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Ma formation de peintre avec Hélène Legrand m'a appris, outre le métier de peindre, que l'essentiel est dans l’intensité du regard méditatif porté sur les choses. Pour capter l'instantanéité d’une lumière, d’une matière, d’une forme, 'un morceau de réel', j’utilise la photo.
L’instant capturé ainsi sera en quelque sorte déployé dans une peinture à la façon d’une litanie : retour d’un 'même' toujours déjà là pour recomposer le temps du paysage et reconstruire sa forme dans la vigueur de son apparaître.
Isolé, ce fragment répété deviendra 'immensité' quelque soit sa taille réelle et toute matière se fera alors étonnamment vibrante, vivante.
Vivante ? N’est-ce pas à l’intérieur de cette notion que se joue une des grandes interrogations de notre contemporanéité : que fait-on de la Création ?
Catherine Robin, née en 1949, vit et travaille maintenant entre Paris et le Sud de la France près d’ Uzès. Après des études d’Histoire de l’Art, elle se met à fréquenter des ateliers d’art – notamment celui d’Hélène Legrand – pour y acquérir les techniques de la peinture et de la photographie. Elle tente d’opérer une synthèse entre les deux pratiques.
Longtemps restées parallèles ces deux passions se sont rencontrées en une seule et posent diverses questions :
Le monde est-il :
espace surréel ou irréel ?
virtuel ou réel?
immobile ou cinétique ?
cloisonné ou fusionné ?
net ou flou ?….
LES SONGES TERRESTRES
DE CATHERINE ROBIN par le critique et phlosophe Marcel Blanchot
« C’est une chose de rendre une idée claire, et une autre
de la rendre propre à toucher l’imagination »
Edmund Burke
Devant ces fragments de territoires en friche, l’homme est assailli et pris de divers sentiments, souvent mêlés d’inquiétude. Les yeux révulsés, le cerveau retourné, notre corps, immergé d’un effroi inconditionnel doublé d’une étrange attraction, en subit une rude épreuve. Loin de vouloir s’identifier à la folie mystique de ses aînés romantiques, Catherine Robin suit cependant de près cette « vibration du sublime » tant prônée par Friedrich von Schiller, cette émotion particulière, subite dans laquelle elle y puise l’essentiel de sa peinture. Mais au-delà de l’idée maîtresse de cette esthétique d’un autre siècle, l’artiste sait aussi composer avec notre contemporanéité afin de concurrencer avec un certain aplomb les poids lourds de l’exercice artistique d’aujourd’hui, Anselm Kieffer en tête. Partant d’un réalisme éthéré, la toile se soulève petit à petit d’un nuage de surréalité. Les perspectives bafouées, les masses écrasantes, les couleurs parfois ténébreuses, d’autres fois enveloppées d’un écrin lumineux, souvent telluriques ; ces morceaux de peinture s’ingénient à trouver une autre issue au formalisme de notre univers. On sent l’ardeur du travail, la fièvre d’une création composite qui, en conséquence, stimule notre imagination. C’est en quelque sorte, pour en résumé la pensée, l’irruption d’une beauté naturelle à mi-chemin entre abstraction et réalisme ; un « infra-mince » dirait Marcel Duchamp, ce mystérieux entre-deux des actes, des pensées, des passions terrestres.
En réalité, l’artiste opère une synthèse minutieuse entre la peinture et la photographie. La matière se colle aux lambeaux de clichés qu’elle ira découper en fonction de la composition repensée. Le procédé n’est pas neuf mais son utilisation, dans ce cas précis, est élaborée afin d’offrir au spectateur la vision d’un espace quasi hallucinatoire. Ainsi, le manque de point de repère va développer, tout au long de l’œuvre, une sorte de spectre esthétique tantôt incandescent et sensible, tantôt ténébreux et fantasmatique. Ces morceaux de réel jouent sur plusieurs tableaux à la fois afin de prolonger la réflexion au-delà. La figure de pensée enveloppée dans ce chiasme pictural difficile capture l’instant, le dénature puis le recompose comme une litanie aphone.
Le temps et l’être confondus engendrent ce doux « mélange des sensations » plusieurs fois prescrit par Rimbaud. Il n’est qu’à observer l’œuvre Premiers temps de l’être pour s’en apercevoir. Est-ce la représentation d’un être dans un organisme naturel ou le rejet de celui-ci dans un élément métaphysique ? Dans la Naissance d’une âme vague, l’eau fractionnée, « mouvement de l’âme » élève, par la répétition, une cosmogonie étrange reprenant peu à peu forme humaine. Comme aime à le préciser la plasticienne, on perçoit « le retour d’un même déjà là pour reconstruire sa forme dans la vigueur de l’apparaître ». Ce même qui, à l’inverse, nous pousse à chercher l’origine de l’existence dans ce champ physiologique. Dans tous les cas, la suprême majesté des espaces s’impose à nous comme Gaia, la déesse, terre-mère, s’impose aux hommes. Comme face à une nouvelle réification de l’Art ; nous aussi sommes terrassés par cet alliage de substances divines.
Alors, il convient maintenant de l’admettre, Catherine Robin, dirigée par une force extérieure, est une des rares artistes à avoir su creuser l’abîme nécessaire dans les roches inébranlables de l’Art Moderne.
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